Article paru dans AEF le 21 octobre 2013
Claude Dilain, sénateur (PS,Seine-Saint-Denis) et co-rapporteur du projet de loi Alur
« Je retrouve globalement l'esprit de mon rapport [sur les copropriétés en danger] dans le projet de loi Alur », déclare Claude Dilain, sénateur (PS, Seine-Saint-Denis) et co-rapporteur du texte dont l'examen en séance publique au Sénat débute mardi 22 octobre 2013 (1). Il revient pour AEF Habitat et Urbanisme sur les principales modifications apportées au texte lors de son examen en commission des affaires économiques, notamment sur l'obligation pour les copropriétés de 10 lots ou plus de constituer un fonds de prévoyance travaux obligatoire (AEF Habitat et Urbanisme n°12191). Auteur de l'amendement supprimant l'autorisation de mise en location préalable dans les territoires comportant une proportion importante d'habitat dégradé (AEF Habitat et Urbanisme n°12197), Claude Dilain le justifie par le risque de mise en cause de « la responsabilité morale » des collectivités.
AEF Habitat et Urbanisme : Vous avez rédigé un rapport sur « les copropriétés en danger », remis à la ministre en mai dernier (AEF Habitat et Urbanisme n°11060). Estimez-vous que le projet de loi Alur apporte les bons outils pour résoudre leur situation ?
Claude Dilain : Je retrouve globalement l'esprit de mon rapport. Notamment, l'administration provisoire renforcée créée dans le projet de loi Alur ressemble à la procédure de pré-carence décrite dans mon rapport (AEF Habitat et Urbanisme n°11060). Cette procédure permet à un opérateur, qui a un diagnostic pluridisciplinaire, d'intervenir sur une copropriété très dégradée pour obtenir une vision de requalification large du bâtiment (2). Un amendement sera déposé en séance publique, avec l'appui de la commission des lois, précisant que le juge choisira cette personne dans une liste d'opérateurs agréés par le ministère.
Autre sujet qui sera discuté en séance, l'administrateur provisoire ou l'opérateur pourra demander au juge de l'autoriser à changer le mode de chauffage, pour passer du collectif à l'individuel, sans avoir recours à un vote à l'unanimité, s'il considère que le chauffage est un des facteurs de dégradation de la copropriété.
AEF Habitat et Urbanisme : Pourquoi avoir abaissé en commission de 50 à 10 lots le seuil pour l'obligation du fonds de prévoyance ?
Claude Dilain : Le seuil de 50 lots était pour moi totalement inutile, car il intéresse au maximum 36 000 copropriétés sur plus de 750 000. Je dis au maximum car si la copropriété a moins de dix ans, ce qui correspond à la durée de la garantie décennale, elle est exonérée du fonds de prévoyance. Et si l'assemblée générale décide d'un diagnostic technique général et que celui-ci conclut qu'il n'y a pas besoin de travaux dans les dix ans à venir, le fonds de prévoyance n'est pas constitué.
Je pense qu'il y aura des amendements pour qu'il n'y ait pas de seuil en séance publique. Valérie Létard [sénatrice UDI-UC, du Nord] l'a proposé en commission des affaires économiques. J'y suis assez favorable mais si on m'explique qu'il y a vraiment un risque d'inconstitutionnalité, je ne vais pas courir ce risque. Le Conseil d'État a en effet retiré, selon mes informations, le fonds de prévoyance du projet de loi initial, car il contrevenait au droit de propriété. L'établissement d'un seuil et la possibilité de ne pas avoir recours aux fonds de prévoyance, du fait de la garantie décennale et des conclusions du diagnostic technique général, permettent de satisfaire les exigences constitutionnelles concernant le droit de propriété. La propriété privée est sacrée en France, ce qui est très bien, mais dans les copropriétés, la propriété doit s'arrêter là où commence celle des autres.
AEF Habitat et Urbanisme : Pourquoi avez-vous supprimé l'autorisation préalable de mise en location de logements sur les territoires présentant une proportion importante d'habitat dégradé (AEF Habitat et Urbanisme n°12197)?
Claude Dilain : Je tiens à dire que cette suppression a été faite à l'unanimité de la commission. Ce n'est pas possible qu'un sujet aussi important, qui implique autant les élus locaux, se fasse sans véritable étude d'impact, ni réflexion. J'ai également écouté l'AMF, qui considère que s'il se passe un drame dans un logement, même si cette autorisation est facultative, les citoyens et les médias mettront en cause la responsabilité morale du maire. Si le rapporteur pour avis de la commission des lois sur le texte, René Vandierendonck [PS,Nord], veut toutefois rétablir cette mesure, je ne m'y opposerai pas, mais je redonnerai ces arguments.
AEF Habitat et Urbanisme : Êtes-vous favorable à la disposition introduite par le député François Pupponi (PS-Val d'OIse) perçue par certains comme une interdiction de relogement des Dalo dans les ZUS (AEF Habitat et Urbanisme n°11932)?
Claude Dilain : François Pupponi a eu raison de soulever ce problème de mixité sociale : personne ne veut que l'on mette les personnes les plus pauvres dans les zones les plus pauvres. Je soutiens cet amendement, même si j'ai reçu des pressions de toutes parts pour le supprimer. En effet, ces zones ont absolument besoin du contingent préfectoral pour les opérations de relogement, et ça peut être compliqué si ce contingent est déjà amputé du Dalo. Je voulais proposer une solution de compromis, mais qui n'a satisfait personne. Je n'ai, au final, rien fait car ce débat devra être revu à l'aune du projet de loi Lamy [projet de loi de programmation relatif à la ville et la cohésion urbaine], qui sera examiné par l'Assemblée nationale le 27 novembre prochain (AEF Habitat et Urbanisme n°12163). Il comporte une modification de la géographie prioritaire avec la disparition des zones sensibles, au bénéfice de quartiers prioritaires, qui seront moins nombreux.
AEF Habitat et Urbanisme : Nombre d'acteurs critiquent le dispositif du bail glissant pour les ménages Dalo, le considérant comme un outil de dérégulation…
Claude Dilain : Après mûre réflexion, on ne peut pas se priver de cette possibilité. Il peut y avoir des situations conjoncturelles qui empêchent des ménages bénéficiant du Dalo, d'accéder à un bail en bonne et dûe forme. Il vaut mieux avoir un toit provisoire que pas du tout. Le préfet doit faire un bilan tous les six mois, c'est un premier encadrement sérieux qui évite les dérives. Le deuxième, auquel il faut réfléchir, concerne l'abus des bailleurs. Certains développent les baux glissants au détriment des « vrais logements ». J'ai décidé pour ma part de ne pas toucher au texte. Pour mémoire, nous avons rejeté l'amendement de la commission des affaires sociales (n°COM-89) à l'article 18 qui prévoyait de réserver aux seules personnes reconnues prioritaires au titre du droit à l'hébergement opposable le dispositif du bail glissant.
AEF Habitat et Urbanisme : Pourquoi l'amendement de Marie-Noëlle Lienemann (PS, Paris) sur la trêve hivernale a-t-il été retiré ?
Claude Dilain : Cet amendement prévoyait d'avancer de 15 jours la date de la trêve hivernale, et de la faire bénéficier aux squatteurs. Je lui ai demandé de le retirer, notamment en raison du deuxième aspect de cette proposition. Je soutiendrai cet amendement en séance publique au sujet de l'avancement de la date de la trêve, mais je suis inquiet sur le fait qu'on lui oppose l'article 40 de la constitution . On peut espérer un avis de sagesse de la part du gouvernement.
AEF Habitat et Urbanisme : Que pensez-vous de la garantie universelle des loyers?
Claude Dilain : Sur le sujet, le texte est squelettique, il pose un principe. Lorsque le texte a été déposé au Sénat, j'ai dit à la ministre que j'aurai du mal à défendre cet article en l'état, et en ce sens, l'amendement déposé par le gouvernement en commission est bienvenu, car il précise les missions des opérateurs locaux publics ou privés (AEF Habitat et Urbanisme n°12182). Ils auront notamment le devoir de récupérer le loyer pour les propriétaires. Je pense que cela serait bien que le Trésor public soit impliqué pour avoir un meilleur taux de recouvrement des impayés. Cécile Duflot m'a indiqué que c'est ce que le gouvernement comptait faire, et normalement, en séance publique, une précision sera introduite sur ce point. Si cette précision est apportée, la critique de l'aléa moral tombe. Dès lors, on ne pourra plus dire qu'avec la GUL, si les locataires ne paient plus leurs loyers, ils n'auront plus de compte à rendre. Sur le financement du dispositif, c'est un autre débat que nous aurons lors des discussions sur le PLF 2014.
AEF Habitat et Urbanisme : Y a-t-il des modifications à apporter sur le dispositif d'encadrement des loyers?
Claude Dilain : Ce dispositif répond à une réalité : les loyers ont augmenté beaucoup plus vite que le coût de la vie, et la part du loyer dans les dépenses des familles est supérieure en France par rapport aux autres pays européens. En revanche, je souhaite ardemment qu'on précise ce qu'on entend par complément de loyer exceptionnel, mesure qui permet au bailleur d'augmenter le loyer si les caractéristiques du logement le justifient. J'ai demandé, en commission, qu'un décret le précise, et ce contre l'avis du gouvernement qui estime que cette définition sera difficile à donner. Je ne voudrais pas que cette exception de complément de loyer devienne le principe. La navette parlementaire devra permettre de préciser encore cette notion.
Propos recueillis le 16 octobre 2013 par Claire Boulland et Élise Jollain.
(1) Claude Dilain rapporte les titres I et II, tandis que Claude Bérit-Débat (PS, Dordogne), dont l'interview est publiée ce même jour (AEF Habitat et Urbanisme n°12228), est rapporteur pour les deux derniers titres.
(2) L'administration provisoire renforcée consiste à ce que l'administrateur conclue une convention avec un opérateur qui peut être un établissement public d'aménagement, local ou national, l'AFTRP (Agence foncière et technique de la région parisienne), une société publique locale d'aménagement, un bailleur social, une SEM.
(3) L'article 40 prévoit que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ».