Dépêche Habitat et Urbanisme
Copropriétés en danger : Claude Dilain propose que « la saisine du juge soit plus ouverte qu'aujourd'hui » (rapport)
« Faciliter l'accès au juge dans le cadre des copropriétés en danger » : c'est l'un des « principaux objectifs » du rapport sur les copropriétés très dégradées remis par le sénateur Claude Dilain (PS, Seine-Saint-Denis), lundi 13 mai 2013 à la ministre de l'Égalité des territoires et du Logement. Il propose de créer « un cadre juridique spécifique afin de prévenir et sauver les copropriétés en danger » (AEF Habitat et Urbanisme n°10677). Ce rapport se décline en deux temps, avec une partie relative « au régime de pré-carence s'appliquant aux copropriétés en danger », et une autre concernant « la prévention qui s'appuie sur les préalables posés par le rapport Braye » (AEF Habitat et Urbanisme n°6926). La situation des copropriétés dégradées sera traitée dans le projet de loi Logement et Urbanisme, la ministre souhaitant que cette thématique constitue « un axe majeur » du projet, selon les termes de la lettre de mission envoyée au sénateur en décembre 2012.
Claude Dilain définit la copropriété en danger comme celle où « l'état du syndicat de la copropriété menace la propriété de chacun des copropriétaires par l'effondrement de la valeur de leur patrimoine ou la baisse de leur droit de jouissance ». Reprenant à son compte l'estimation de Dominique Braye, dans son rapport « prévenir et guérir les difficultés des copropriétaires », d' un million de résidences principales en copropriétés fragiles en 2012, Claude Dilain craint « une augmentation significative de ces grandes difficultés, en partie en raison de la crise économique ». À noter, dans le cadre de ces travaux, Claude Dilain a demandé au service des études comparées du Sénat un étude européenne sur la gestion des copropriétés « qui lui sera rendue d'ici quelques jours ».
INSTAURATION D'UNE PROCÉDURE DE PRÉ-CARENCE
La procédure de pré-carence définie dans le rapport, devrait être introduite, selon Claude Dilain, dans un article du code de la copropriété à la suite des procédures d'alerte et de sauvegarde définies aux articles 29-1 et 29-1 A et B de la loi du 10 juillet 1965. « Force est de constater que si ces deux procédures donnent parfois de bons résultats, elles ne répondent pas aux nécessités des copropriétés en danger », car « ces situations exceptionnelles exigent des moyens et des pouvoirs exceptionnels que ne possèdent ni le mandataire ad hoc ni l'administrateur judiciaire ».
Avec cette procédure de pré-carence, le juge ouvrira « la possibilité de lancer une procédure qui permettra à la fois de faire un diagnostic approfondi des difficultés que traverse la copropriété, allant même jusqu'à évaluer sa capacité à demeurer en copropriété privée totalement ou partiellement, et également de permettre à tous les acteurs du redressement de travailler de façon synergétique sous son autorité. »
PLURALITÉ DE DEMANDEURS EN JUSTICE
Cette procédure de carence pourrait être déclenchée lorsqu' « un appel de charges de copropriété par un syndic s'avère infructueux, après épuisement des voies de relance par le syndic, pour un montant supérieur à 40 % du total des sommes appelées » ou lorsque « l'insuffisance de ressources constatées résultant [de cet appel de charges infructueux], au regard de l'état général de la copropriété, de sa situation financière, notamment en ce qui concerne les charges courantes et les travaux urgents nécessaires, présente un risque élevé d'entraîner une dégradation majeure des conditions d'habitabilité, soit en privant les résidents des services fonctionnels collectifs élémentaires, soit en raison de l'état, notamment sanitaire, du bâti ».
Une fois, ces conditions remplies, « le syndic » peut saisir la juridiction compétente pour engager une procédure de pré-carence ou être mis en demeure de le faire par « le président du conseil syndical de la copropriété, les copropriétaires représentant 30 % des tantièmes, le maire, le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent, le président du conseil général, ou le préfet ». Le syndic dispose alors « d'un délai de quinze jours pour répondre et lancer la procédure ou pour expliciter son impossibilité à agir ». S'il ne répond pas, les autres parties en capacité d'agir en justice (président du conseil syndical, copropriétaires, maire…) « pourront directement saisir le juge d'une telle demande. »
MÉCANISME EN DEUX TEMPS
Si le magistrat considère qu'il est souhaitable de passer en phase de « pré- carence », il aura à sa disposition un mécanisme en deux temps. Ainsi, un 'expert désigné par le juge « sur une liste agréée » devra coordonner un audit technique (le bâti), financier (aspect comptable) et social (les relations avec les habitants) de cette copropriété en danger, puis rendre son rapport dans un délai de douze mois. « Il devra également présenter un plan de continuation pour la copropriété qui décrira le plus précisément possible les mesures à mettre en œuvre, ainsi que les partenaires et financements envisagés. » Cet expert sera assisté d'un syndic spécialisé dans le redressement, « lui aussi choisi sur une liste labellisée, qui aura pour mission la gestion des tâches courantes du syndicat. »
Dans un deuxième temps, et au vu de ce rapport, le juge pourra alors décider soit d' « infirmer l'état de pré-carence » , c'est-à-dire « renvoyer la copropriété sur les procédures d'alerte et de sauvegarde », ou « proposer la mise en œuvre d'une carence totale », « ce qui signifierait la mort de la copropriété », soit « confirmer l'état de pré-carence ». Dans ce dernier cas, « il nomme alors un opérateur à qui il pourra accorder tous les pouvoirs nécessaires afin de mettre en œuvre le plan de redressement et de continuation avec le concours d'un syndic de redressement ». Ce plan sera alors soumis au vote de l'assemblée générale des copropriétaires.
ÉTABLISSEMENT FONCIER DE PORTAGE « INDISPENSABLE »
Une fois cette dernière phase enclenchée, « l'opérateur présidera une commission du plan de redressement composée des représentants de tous les intervenants au plan de redressement-continuation ainsi que du président du conseil syndical et des membres élus du syndicat désignés par un vote de l'assemblée générale des copropriétaires, au prorata du nombre des lots. » Cette commission doit se réunir mensuellement et apporter toutes les informations sur l'état de l'avancée du plan.
Le rapport estime que « la présence d'un établissement foncier dédié au portage des copropriétaires est indispensable afin d'éviter que des acquéreurs mal intentionnés n'aggravent les difficultés ». En effet, « l'ouverture d'un plan de redressement emporte le droit pour l'opérateur de proposer à tous copropriétaires d'acquérir leur part ». Par ailleurs, « pendant la durée de l'opération, la copropriété est soumise au droit de préemption renforcé ».
UNE MEILLEURE INFORMATION DES LOCATAIRES
Outre la création de cette procédure de pré-carence, le rapport identifie plusieurs « mesures préventives à mettre en place » qui ne sont pas « explicitement dans le cadre de la mission confiée », mais qui font l'objet « d'un large consensus parmi les professionnels auditionnés ». Le rapport estime ainsi nécessaire « de réformer l'organisation de la profession d'administrateur judiciaire », en créant notamment des « listes d'experts » sur le sujet des copropriétés très dégradées. De la même façon, « la mise en place d'une spécialisation accrue pour les syndics qui seront en charge [des] grosses copropriétés et résidences en danger est souhaitable ».
Claude Dilain préconise également une meilleure information des locataires car « il n'est plus acceptable qu'un locataire continue à payer ses charges, sans savoir si son propriétaire les reverse au syndic ». Le sénateur suggère donc de « généraliser les affichages des comptes-rendus d'assemblées et de permettre aux locataires de payer leurs charges directement au syndic ou à l'administrateur judiciaire en charge de la résidence. » Selon le rapport, dans les copropriétés en difficultés, la part des locataires est « nettement plus élevée » que dans le parc de copropriétés « classiques » (39 %), « dépassant parfois la moitié des habitants de la résidence ».
LUTTE CONTRE LES MARCHANDS DE SOMMEIL
Enfin, Claude Dilain « appelle de ses voeux une transcription dans la loi française [d']une mesure interdisant le droit de vote dans les assemblées générales pour les copropriétaires débiteurs au-delà d'un certain niveau », mesure existant déjà en Espagne. Il souhaite également empêcher à un copropriétaire débiteur d'acheter d'autres lots dans la copropriété, en instaurant une clause résolutoire dans le compromis de vente : dans cette clause, l'acquéreur s'engagerait sur l'absence de dette dans ladite copropriété. « Dès lors, le notaire sera dans l'obligation d'en vérifier la véracité auprès de cette copropriété » et « en cas de fausse déclaration, la clause [permettra] l'annulation de la vente ».
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